CHAPITRE 5
Un désir soudain de se cacher prit naissance dans la poitrine d’Alema. Inquiète à l’idée que ses poursuivants n’aient réussi à la retrouver, elle jeta un coup d’œil au-dessus du pupitre sur laquelle elle travaillait. Dans le hall d’accueil, elle ne vit que les deux soldats de la GAG qui gardaient déjà la bibliothèque lorsqu’elle était arrivée. Ils étaient appuyés contre le comptoir de la réception et discutaient à voix basse, les yeux dans les yeux. Une voix grésillait dans le comlink de la femme mais soit les ordres ne la concernaient pas, soit les suggestions qu’Alema avaient trouvé chez ces militaires un terrain plus fertile qu’elle ne l’avait imaginé.
Le désir de se cacher se changea en prière d’attendre, suivi d’une prémonition de problèmes à venir. Alema réalisa alors que ces sensations lui venaient de l’extérieur. Quelqu’un projetait ces émotions avec une telle intensité qu’elles débordaient du canal de fusion mentale et se diffusaient à quiconque était susceptible de les sentir. Sans doute les « protecteurs » de l’Académie donnaient-ils à Jaina et à ses deux crapauds pleins d’hormones plus de fil à retordre qu’ils ne l’avaient fait pour elle. C’était un soulagement. Le trio était sur la piste d’Alema depuis le dépôt de Roqoo et elle savait que ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne la rattrapent et se mettent à fouiner dans l’Académie.
Alema étendit ses perceptions au travers de la Force, en direction des gardes. Puis elle concentra son attention sur le son qui jaillissait du comlink de la femme. La voix était masculine et autoritaire, sans aucun doute celle du commandant de la mission.
— ... et celui qui l’escorte qui sillonnent l’Académie. Ne vous en mêlez pas mais ne les laissez pas... les otages...
Otages ?
Stupéfaite d’entendre ce terme employé sur un canal de communication ouvert, Alema se laissa retomber sur son siège. Elle avait su depuis le départ que les troupes de la GAG étaient là pour empêcher que l’Académie ne serve à fomenter une résistance au coup d’État de Jacen, mais elle n’avait jamais imaginé qu’ils seraient assez fous pour prendre les jeunes élèves en otages. C’était un coup audacieux... mais également irréfléchi, car il risquait de provoquer Luke plutôt que de le paralyser.
Alema ne comprenait pas comment Jacen pouvait avoir commis une telle erreur. Jusqu’à présent, ses stratagèmes s’étaient toujours montrés brillants. Il avait emporté le soutien de la population de Coruscant et de la majorité de l’Alliance grâce son approche « pas de pitié pour les terroristes », puis il s’était servi de cette popularité pour gagner le contrôle de presque la moitié de la galaxie. Alors pourquoi commettre une telle gaffe à présent ? Pourquoi était-il soudain devenu suffisamment arrogant pour se croire capable de menacer avec succès l’Ordre Jedi ?
La réponse tenait en un nom, bien évidemment : Lumiya. Jacen n’avait pas fait la moindre erreur jusqu’à ce que son mentor soit tué. Et maintenant, quelques jours après sa mort, il tentait déjà d’en faire trop. De toute évidence, le colonel avait toujours besoin d’être guidé... et Lumiya l’avait prévu. Pour quelle autre raison aurait-elle permis à Alema de la suivre jusqu’à sa cachette, sur l’astéroïde ?
Lumiya avait voulu s’assurer que si elle n’était plus, Alema aurait les ressources nécessaires pour reprendre son œuvre.
Alema relia son datapad à l’ordinateur des archives auquel elle avait accédé puis téléchargea les rares données qu’elle avait pu rassembler à propos du navire qu’elle avait hérité de Lumiya. D’après les récits Jedi, le Vaisseau (il refusait de donner son nom, si bien qu’Alema l’appelait simplement ainsi) était une ancienne sphère de méditation, une sorte de navire pensant autrefois employé à la fois par les Jedi et les Sith. Si l’on en croyait le peu d’informations révélées par les archives, la sphère de méditation était une sorte de navire de contrôle amélioré par la Force. Il était conçu pour amplifier les capacités de méditation de combat des commandants tout en dissimulant leur emplacement à l’ennemi.
Le datapad afficha un message indiquant qu’il avait terminé le téléchargement. Alema désactiva le lien et effaça les traces de son passage sur l’ordinateur central. Puis elle glissa le datapad dans une pochette à sa ceinture et se dirigea vers la sortie. Les deux gardes étaient tellement sous le charme l’un de l’autre qu’ils ne la remarquèrent pas jusqu’à ce qu’elle ait dépassé la réception et traversé la moitié du hall.
— Par les... ! hoqueta l’homme. D’où est-ce que vous sortez ?
La femme fut plus rapide à se remettre de sa surprise.
— Halte ! ordonna-t-elle. Bougez le petit doigt et je tire !
Alema se retourna pour découvrir un énorme blaster Merr-Sonn braqué sur elle. Elle leva néanmoins la main et la femme soldat pressa la détente.
L’arme émit un petit « clic » et ce fut au tour de la femme de hoqueter, stupéfaite :
— Mais que... ?
Alema agita la main puis tira deux cellules énergétiques de la poche de sa robe.
— Pas de quoi s’inquiéter. Vous nous aviez confié ceci, par sécurité.
La femme fronça les sourcils, l’air suspicieux.
— Pourquoi vous aurais-je...
Alema s’adressa cette fois à l’homme qui, comme d’habitude, avait un esprit plus faible que sa partenaire potentielle.
— Rappelez-vous. Nous sommes une amie de Jacen.
— Tout va bien, Tiz, lança le soldat. Tu te souviens. C’est une amie du colonel.
L’expression soupçonneuse de la jeune femme s’évanouit et elle remit son blaster dans son étui.
— C’est vrai, dit-elle en souriant à son compagnon. Je m’en souviens, maintenant.
— Bien.
Alema fut tentée d’utiliser la Force afin de projeter les cellules énergétiques au visage de Tiz pour avoir laissé un mâle décider de ce qu’elle devait penser. Mais il était important que sa visite à la bibliothèque reste secrète. Si Jaina et ses chiens-chiens apprenaient qu’elle était venue sur Ossus pour faire usage de la bibliothèque des Jedi, ils trouveraient un moyen d’identifier les archives auxquelles elle avait accédé. Après quoi ils en sauraient autant qu’elle à propos du Vaisseau. Alema se servit de la Force pour faire flotter les cellules jusqu’au bureau de l’accueil, tout en reprenant sa route vers la sortie.
— Amusez-vous bien, tous les deux, suggéra-t-elle. Le colonel serait d’accord.
Le temps qu’elle atteigne la porte, les deux soldats étaient déjà occupés à s’arracher mutuellement leurs vêtements. Confiante dans le fait que sa présence insaisissable dans la Force ne laisserait pas le moindre souvenir de son passage dans leurs esprits, elle traversa les jardins de l’Académie en direction de la forêt où le Vaisseau l’attendait. Le trajet pour le rejoindre n’était pas particulièrement difficile, malgré le pied estropié et le bras inutilisable d’Alema. Mais c’était un rappel déplaisant du temps qu’elle avait passé, blessée et coincée sur Tenupe, de tout ce qu’on lui avait dérobé. Chaque pas dans la nuit lui rappelait son devoir envers l’Équilibre et son obligation de régler la situation entre elle et Leia Solo.
Comme Alema s’approchait de la ravine où le Vaisseau s’était dissimulé, le navire doté de volonté s’éleva devant elle sans attendre qu’elle ne l’appelle. Il était incroyablement hideux, un orbe bouffi recouvert d’un réseau de veines puisant par-dessus une coque couleur d’ambre qui pouvait se montrer opaque ou transparente selon son humeur. Il maintenait ses quatre ailes à plat contre les flancs de son ventre rond et, lorsqu’il se tourna pour lui faire face, Alema eut l’impression d’un gigantesque cerveau désincarné... et très, très âgé.
Antique, la corrigea le Vaisseau. Une section de deux mètres sur la coque se transforma en passerelle et se tendit en direction du talus sur lequel se tenait Alema. Et doté de suffisamment de cervelle pour savoir lorsqu’un ennemi l’observe.
La note de reproche dans les pensées du Vaisseau était aisément reconnaissable, mais Alema se contenta d’un sourire narquois en empruntant la rampe d’accès d’un pas tranquille. Ils n’avaient rien à craindre de ces ennemis-là, en tout cas pas à cet instant. Que ce soit ou non une bonne chose, Jacen leur avait fourni une source d’inquiétude plus importante qu’Alema Rar.
Le Vaisseau n’était pas convaincu, mais il attendit qu’Alema se soit agenouillée à l’intérieur avant de se refermer et d’attendre une destination.
— Le secteur de Kanz, dit Alema à haute voix. Nous espérons que vous vous rappelez les coordonnées de l’astéroïde de Lumiya.
Le Vaisseau resta à l’intérieur du ravin et le feu qui luisait le long de ses parois se fit plus rouge et plus lumineux. Il servirait de moyen de transport à l’Accidentée, car il n’avait rien de mieux à faire. Mais il n’avait aucune intention de l’emmener dans le secteur de Kanz. Lumiya n’aurait pas voulu voir Alema fouiller son repaire.
— En êtes-vous certain ?
Tout en parlant, Alema utilisait la Force pour saper discrètement la détermination du Vaisseau. Elle n’essayait pas tant de s’opposer à sa décision que de l’inciter à regarder les choses sous un angle différent. Elle avait employé la même technique en tant que Héraut de Nuit du Nid Obscur. Cette méthode lui avait souvent permis de contrôler UnuThul et son nid.
— Lumiya voulait que nous continuions son travail avec Jacen, ajouta-t-elle.
Le Vaisseau s’écarta de son toucher mental, furieux. Il avait servi des Maîtres plus puissants qu’elle ne pouvait l’imaginer. Pensait-elle vraiment qu’il ne serait pas capable de percevoir une simple tentative d’influence de ses pensées ? Il était insulté au plus haut point.
Malgré ses protestations, Alema sentait que le navire était lentement en train de céder face à sa volonté. Et pourquoi ne le ferait-il pas ? Au final, le Vaisseau restait une machine, conçue pour servir. Alema devait simplement prouver qu’elle était capable de le commander. Elle poussa plus violemment contre sa résolution, abandonnant la subtilité au profit de la puissance brute.
— Vous vous en souvenez, affirma-t-elle. Lumiya nous a invitées sur son astéroïde.
Le Vaisseau lutta pour maintenir sa décision en se remémorant que Lumiya n’avait pas réellement invité l’Accidentée sur son astéroïde. Alema l’y avait suivie.
— Cela ne change pas les faits, insista la Jedi renégate. Lumiya nous a demandé notre aide.
Lumiya n’avait rien demandé : l’Accidentée s’était portée volontaire.
— Et Lumiya a accepté, rappela Alema. (Elle prenait soin de mettre l’accent sur des verbes d’action ; cela constituait une partie essentielle de sa technique.) Elle nous a assigné la surveillance de Mara.
Le Vaisseau savait ce qu’elle était en train de faire, mais il n’était pas un être doué de conscience et n’avait pas la force de résister à la pression. L’Accidentée disait la vérité, réalisa-t-il finalement. Lumiya l’avait bien envoyée surveiller Mara.
— Parce que Lumiya nous faisait confiance, ajouta Alema. Parce qu’elle comptait sur nous pour continuer d’assister Jacen... comme nous l’avons fait au dépôt de Roqoo.
Quand vous avez reconfiguré cet équipage de cargo ? demanda le Vaisseau.
— Afin que les Jedi sachent que nous étions tout près quand Mara est morte, expliqua Alema. Afin qu’ils nous suspectent plutôt que Jacen.
Pour assurer le succès de celui-ci, ajouta le Vaisseau. Pour faire en sorte que les Sith reprennent le pouvoir.
— Oui, confirma Alema. Nous en faisons la promesse. Les Sith régneront de nouveau.
L’instant d’après, Alema se retrouva plaquée contre la paroi arrière du Vaisseau tandis qu’il accélérait vers les cieux. Un sentiment de frustration envahit la Force comme l’un de ses poursuivants (Zekk, à en juger par la pureté laborieuse de sa présence) avertissait ses compagnons qu’elle était en train de s’échapper. Elle ne perçut pas la réaction de Jaina, mais le fait que personne n’ait lancé une bombe furtive ou une torpille à protons sur le Vaisseau était suffisamment éloquent. Pour l’heure, ses poursuivants avaient d’autres problèmes en tête.
Le voyage jusqu’au secteur de Kanz se fit sans encombre mais pas sans malaise. Le Vaisseau semblait prendre un plaisir pervers à mettre le calme d’Alema à l’épreuve. Durant la majorité du trajet, il arbora une coque si transparente qu’elle avait l’impression de traverser la galaxie au sein d’une bulle. Chez une espèce habituée au voyage spatial tels que les Duros ou les Gands, l’illusion aurait pu provoquer plaisir et émerveillement. Mais ce n’était pas le cas pour Alema. Les Twi’leks étaient des troglodytes, habitués au confort né de l’obscurité absolue et des espaces confinés. Le temps que le Vaisseau atteigne le système sans nom et qu’un morceau de roche argentée apparaisse dans le vide devant eux, la moindre fibre de son être semblait lui hurler de fermer les yeux et de s’isoler de toute perception de l’immensité brutale et écœurante de la galaxie.
Alema ignora cet instinct et se força à regarder calmement le rocher envahir son champ de vision, scintillant dans la lumière d’un lointain soleil. Le Vaisseau la mettait à l’épreuve, à la recherche d’un indice prouvant qu’elle était trop faible pour tenir ses promesses. Et Alema refusait de lui en fournir. Elle savait que le Vaisseau percevait télépathiquement la terreur que le vide lui inspirait. Mais il verrait également la détermination avec laquelle elle faisait face à cette peur et sa volonté absolue de sacrifier tout ce qu’il faudrait pour rétablir l’équilibre entre elle et Leia.
À quelques kilomètres seulement de l’astéroïde, le Vaisseau fit une embardée en direction de sa face cachée et descendit vers le hangar à une vitesse terrifiante. Sentant qu’il tentait toujours de la faire craquer, Alema se résigna à la possibilité d’une mort brutale, comme le prix à payer pour le privilège de voler dans un tel appareil. Elle observa, dans un silence stoïque, les crevasses obscures qui fonçaient vers elle, jusqu’à se changer en falaises immenses. Au dernier moment, une porte blindée camouflée s’ouvrit sur la paroi et le Vaisseau s’engouffra dans le hangar étroit de la cachette. La décélération fut si violente qu’Alema dut faire appel à la Force pour ne pas aller s’écraser la tête dans la première contre la cloison avant.
Le Vaisseau s’immobilisa à moins d’un mètre de la paroi du fond et développa trois trains d’atterrissage pour se poser, avec autant de sifflements, de craquements et de grondements que le Faucon Millenium lui-même.
Alema s’autorisa un grand sourire narquois et victorieux.
— Satisfait ? s’enquit-elle.
Le Vaisseau laissa échapper un dernier grognement mécontent puis, une fois le hangar pressurisé, forma une porte et une passerelle à son intention.
— Attendez-nous ici, ordonna Alema en se levant. Profitez-en pour refaire le plein de carburant et assurer votre entretien. Cela pourrait prendre quelques heures.
Le Vaisseau parut amusé à cette idée et Alema eut l’impression très nette qu’il s’attendait à la voir partie pendant bien plus que quelques heures. Pour toujours, sans doute.
— Dans ce cas, lança Alema en descendant la passerelle, considérez-vous comme libéré si nous ne sommes pas revenues dans cent ans.
Si le Vaisseau répondit, sa réplique se perdit au sein de l’aura obscure qui s’éleva autour d’elle comme elle posait le pied sur le sol de permabéton. L’énergie était si présente qu’elle en devenait presque tangible, un nuage de ténèbres glaciales qui glissait le long de ses cuisses comme les doigts d’innombrables amants. Elle frissonna à l’évocation de souvenirs agréables, puis s’alarma en constatant que les frissons continuaient et que des nœuds de danger glacés se formaient entre ses omoplates.
Des pièges.
Évidemment, il y avait des pièges. Il s’agissait d’un repaire Sith, après tout. Alema s’ouvrit à la Force et perçut un péril très net depuis le mur opposé du hangar, où une vingtaine de barils de liquide de refroidissement empilés formaient un triangle de sept mètres de haut. Le plus intelligent aurait été de remonter à bord du Vaisseau et de s’enfuir avant que l’un de ces barils n’explose. Au lieu de quoi Alema s’élança en courant à travers le hangar.
La surprise du navire fut presque aussi vive que son inquiétude. Il semblait moins soucieux au sujet d’Alema qu’à propos de ses ordres. Si elle voulait se faire tuer, il n’y voyait pas d’inconvénient. Mais elle ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il...
Ne bougez pas. (Alema avait mis tout le poids de la Force derrière cet ordre.) À mon tour de tester votre sang-froid.
Le Vaisseau retira immédiatement sa présence, laissant Alema libre de se concentrer sur la question des barils de liquide de refroidissement. Le nœud dans son dos se resserrait à chaque seconde et, bien entendu, le danger paraissait émaner de la base de l’empilement. Sans s’arrêter de courir, elle fit un mouvement de la main et le baril de milieu sortit du rang.
Comme Alema faisait flotter le bidon à sa rencontre, le reste de la pile s’écroula dans une cacophonie de chocs métalliques et de glougloutements liquides. Plusieurs des barils s’ouvrirent, déversant des centaines de litres d’un fluide bleu visqueux sur le sol. L’air se remplit instantanément de l’odeur caustique et doucereuse du refroidissant pour hyperpropulseurs.
Alema avait déjà son sabre laser à la main. Ignorant la sensation de brûlure aux yeux causée par les émanations, elle alluma sa lame et trancha le sommet du bidon devant elle.
Celui, découvrit-elle, était rempli de baradium et équipé d’un détonateur sous la forme d’une grenade à protons. De quoi faire exploser l’astéroïde en centaines de morceaux. Une forêt de fils multicolores reliait le détonateur à un compteur à affichage numérique qui affichait le nombre « 10 », lequel diminuait à chaque seconde. Juste à côté se trouvait un interrupteur de désamorçage rouge.
Considérant que celui-ci était trop évident pour Lumiya, Alema éteignit son sabre laser et le laissa tomber à terre pour faire courir les doigts de sa main valide à travers les câbles électriques. Le temps de trouver l’unique fil de désamorçage gris, l’affichage indiquait « 03 ». Elle était sur le point de tirer dessus lorsqu’elle se souvint du moment où Lumiya avait failli les tuer à bord de l’Anakin Solo en confondant le détecteur de proximité avec le retardateur de sécurité. Elle relâcha le fil gris et saisit le plus orange des trois fils orangés situés à côté. Constatant qu’aucun frisson ne courait le long de son échine, elle retint son souffle et libéra le fil d’un geste sec.
Le compte à rebours arriva à son terme. Rien n’explosa.
Alema sentit son lekku se dérouler sous l’effet du soulagement. Elle récupéra son sabre laser et, malgré une crise de toux liées aux émanations, se tourna vers le Vaisseau, une expression triomphante sur le visage.
Le Vaisseau ne parut guère impressionné. Il y avait des centaines de manières de mourir dans le sanctuaire de Lumiya. L’une des plus idiotes étant sans doute de se tenir au milieu d’un nuage toxique pour jubiler.
Alema dut admettre que l’appareil n’avait pas tort. Elle traversa le hangar en direction du sas qui menait aux appartements de Lumiya, puis entreprit de se frayer un chemin au milieu des pièges qui avaient autrefois protégé l’intimité de la Dame Noire des Sith.
Il y eut d’abord une nuée de dards derrière le faux panneau de contrôle à l’entrée. Puis vint le sas de décompression aux commandes inversées et la « douche de décontamination » empoisonnée, suivis par une très habile illusion de Lumiya qui parvenait à retourner vers l’assaillant toute attaque dirigée contre elle. Alema songea qu’elle aurait vraiment envie d’apprendre à créer une telle chose... une fois que les élancements dans son crâne auraient suffisamment diminué pour lui permettre de se concentrer.
Finalement, Alema se retrouva enfin dans le vestibule de la suite de Lumiya. Son lekku palpitait à l’idée de ce qu’elle n’allait pas tarder à découvrir. Chacun des pièges installés par Lumiya avait aiguisé son appétit pour la technologie Sith. Et chacune de ses victoires n’avait fait qu’alimenter ses attentes. Quoi que Lumiya ait pu vouloir protéger, c’était de toute évidence très important. Et très précieux. Alema imaginait déjà une super-arme Sith, quelque chose capable de stopper net l’Alliance Galactique au terme d’une unique démonstration. Ou peut-être s’agissait-il d’une relique plus subtile qui permettrait de lire à distance les pensées d’un adversaire. À moins qu’elle ne trouve les deux, au sein d’une cache tout entière dévouée aux technologies exotiques des Sith. Tous ces pièges avaient forcément été conçus pour protéger quelque chose.
Alema entreprit de concentrer ses perceptions dans la Force, à la recherche de zones froides ou de perturbations qui suggéreraient la présence d’un nœud d’énergie du Côté Obscur. Mais elle abandonna rapidement. L’astéroïde entier était investi par le Côté Obscur, au point qu’elle avait presque l’impression d’être de retour dans le Nid Obscur, entourée par les présences familières de ses compagnons. C’était un sentiment doux-amer, qui risquait de lui nuire en alimentant un sentiment déplacé de sécurité.
Alema entreprit de faire la reconnaissance des lieux. Dotée d’une poignée de chambres de sommeil, d’un bureau lambrissé, d’une salle à manger au plafond voûté et d’un petit salon en retrait pour faire la conversation, la suite était plutôt confortable. Mais on ne pouvait guère la qualifier d’opulente. On était loin du genre de domicile qu’Alema imaginait en pensant à Lumiya. Il n’y avait ni œuvres d’art ni souvenirs pour donner l’impression d’un lieu habité, même si les miroirs de grande taille attestaient de la vanité de Lumiya.
Étrangement, les miroirs semblaient refléter Alema selon le meilleur angle possible, dissimulant ses mutilations tout en accentuant la finesse de sa silhouette. Elle en fut ravie... sans que cela l’empêche toutefois d’examiner le mur derrière chacun d’entre eux, pour s’assurer qu’ils ne dissimulaient ni coffre-fort ni passage secret.
Malheureusement, elle ne découvrit rien de la sorte derrière les glaces, ni ailleurs au sein de la suite. La seule indication de la présence d’une salle sécurisée tenait dans la présence d’une antique porte de bois synthétique à l’arrière d’une cuisine à l’ancienne. Les fours infrarouges et les plaques de cuisson à rayons de particules étaient trop propres pour avoir été utilisés récemment, mais la porte constituait le seul passage fermé qu’elle ait trouvé.
Alema vérifia la présence possible de pièges, en commençant par ceux qu’elle avait rencontrés pour terminer par tous ceux qu’elle avait appris à détecter. Ne trouvant rien, elle s’ouvrit à la Force et fit courir sa main sur la surface du panneau, attentive au moindre ressenti de danger.
Elle ne perçut rien. Quel que soit le piège que Lumiya avait placé sur cette porte, Alema n’arrivait pas à le trouver. Et cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’était ici qu’étaient conservés les trésors Sith.
La Jedi rebelle fit un pas en arrière et prit un moment pour calmer les battements rapides de son cœur et décider de la meilleure manière de s’attaquer au problème.
Il n’était pas question de laisser la porte fermée. Pour rétablir l’Équilibre entre Leia et elle, elle devait transformer Jacen en ce que Leia haïssait le plus : un nouvel Empereur. Pour ce faire, elle avait besoin d’un moyen de le contrôler, de l’empêcher de commettre des actes imbéciles comme de prendre en otage l’Académie Jedi. Et pour y parvenir, il lui fallait un moyen de pression : comme, par exemple, les reliques Sith dissimulées derrière cette porte.
Après quelques minutes d’exercices d’apaisement, son cœur cessa enfin de battre la chamade. Elle avait le sentiment d’avoir considéré le problème sous tous les angles possibles, sans toutefois parvenir à déterminer de quelle manière la porte avait été piégée. Sa seule ressource résidait dans la connaissance qu’elle avait de Lumiya.
La Dame Noire des Sith avait été une femme subtile et sophistiquée, quelqu’un qui planifiait toujours plusieurs coups d’avance et s’enorgueillissait de déchiffrer les actes et les pensées de ses proies. Elle s’attendrait donc à ce que quiconque ayant réussi à pénétrer dans son sanctuaire se montre aussi rusé et complexe qu’elle. Le piège serait conçu avec ce genre d’individu en tête. Elle ne s’attendrait donc pas à un intrus agissant comme un voleur ordinaire en prenant le chemin le plus simple et le plus direct vers ce qu’il volait.
Alema saisit l’une des petites grenades à concussion accrochée à sa ceinture puis se servit d’un peu de synthéglue pour la fixer sur la porte, au-dessus de la serrure. Elle battit en retraite jusqu’à la pièce adjacente et employa la Force pour activer l’explosif. Il y eut un flash argenté et une détonation assourdissante, puis un nuage de fumée noire envahit la salle à manger.
Une fois les volutes dissipées, Alema brava une pluie de mousse d’extincteur pour retourner dans la cuisine. La porte du fond pendait là, à moitié tordue et entrouverte. Dans son excitation, Alema faillit oublier de vérifier la présence d’autres pièges. Mais elle n’en trouva pas, déclenchés ou non. Elle activa un bâtonnet luminescent et jeta un coup d’œil à l’intérieur de ce qui ressemblait à un vieux placard à nourriture.
Des fournitures cybernétiques s’alignaient sur les rayonnages : outils, liquides, pièces de rechange. Tout l’équipement dont Lumiya pouvait avoir besoin pour la maintenance des parties mécaniques de son être. Pour autant qu’Alema puisse en juger, la petite pièce ne contenait pas la moindre relique Sith.
Ignorant complètement sa propre sécurité, elle se glissa à l’intérieur. Un panneau d’éclairage au plafond s’activa automatiquement, inondant la pièce d’une douce lumière blanche. Sur l’un des murs, elle avisa un énorme stock de poudres mélangées. Il s’agissait des boissons à base de protéines et de vitamines qui faisaient office de nourriture pour la moitié cyborg de Lumiya. Sur l’étagère la plus basse du mur opposé, elle trouva quelques cellules d’énergie et des mèches de remplacement pour le fouet laser de la Dame.
Des pièces de rechange ? Des boissons protéinées ?
Alema sentit le feu de la colère monter en elle, alimenté par la frustration et la peur.
Elle fit tomber une demi-douzaine de grosses boîtes de protéines d’une étagère puis donna un coup de pied dans le mur opposé et fit voler un carton de cristal de Kaiburr affinés. Cela lui fit tellement de bien qu’elle alluma son sabre laser et donna naissance à une cascade malodorante de fluide hydraulique en entaillant une rangée entière de bocaux en plastoïde.
— Nous voulons des reliques ! (Alema se fendit une fois de plus et trancha les équerres qui soutenaient un rayonnage en hauteur.) Nous voulons des trésors Sith !
Un bras cybernétique s’abattit sur elle, en lui heurtant la tête et les épaules. Elle s’apprêtait à abattre sa lame pour réduire en pièces le membre métallique lorsqu’elle remarqua un étui pour datapuce gisant dans une flaque de liquide hydraulique près de la boîte en hollinium qui avait contenu le bras.
— Eh bien... qu’avons-nous là ? (Alema éteignit son sabre laser et récupéra l’objet.) Serait-il possible que tu sois la raison pour laquelle Lumiya maintenait cette porte fermée ?
Elle contempla l’étui en fibroplast comme si elle attendait une réponse. Et, en un sens, c’était le cas. Après un instant, elle commença à percevoir une légère ondulation dans la Force, l’écho de la dernière émotion qu’elle s’attendait à rencontrer : l’espoir, voire le bien-être.
— Intéressant ? lança Alema. Qu’es-tu donc ?
Cette fois, elle n’attendit pas de réponse. Malgré ce que pensait le Vaisseau, elle n’était pas brisée à ce point. Au lieu de quoi elle se mit en quête d’autres datapuces, en cherchant d’abord parmi les fournitures cybernétiques puis au milieu des cristaux de Kaiburr qu’elle avait renversés par terre et des cartons de pièces pour fouet laser. Elle finit par vider la moindre boîte de boisson vitaminée et de protéines en poudre sur le sol, au milieu du fouillis grandissant.
Alema ne mit la main sur aucune autre datapuce, mais elle découvrit plus d’un million de crédits dissimulés à l’intérieur de certains containers de protéines. Elle abandonna la monnaie sur le sol, avec tout le reste de ce qui ne l’intéressait pas. Elle pourrait toujours se procurer de l’argent, et le voler était bien plus amusant.
Convaincue qu’il n’y avait rien de plus dans le placard, Alema retourna jusqu’au bureau de Lumiya et inséra la puce dans un datapad. Elle s’attendait à tomber sur une demande de mot de passe ou autre mesure de sécurité de même ordre. Au lieu de quoi un visage encapuchonné apparut à l’écran et se mit immédiatement à parler. Le visage de l’inconnu était dissimulé dans l’ombre de son capuchon mais sa voix était masculine, et empreinte d’un pouvoir ténébreux.
— Toutes nos excuses pour la brièveté de votre voyage. Si nous avions pu prévoir la rapidité de la progression des envahisseurs, nous vous aurions envoyé une escorte plus conséquente. Si vous deviez survivre et décider de nous rejoindre par vos propres moyens, la chaîne de navigation attachée à ce message vous guidera... une fois seulement.
La silhouette parut s’éloigner de la lumière et l’écran s’assombrit. Alema retira la datapuce et se rassit pour réfléchir. En tant que jeune Jedi, on lui avait enseigné que seuls deux Sith pouvaient coexister à un instant T : le désir de pouvoir propre au Côté Obscur les avait toujours empêchés d’établir un ordre plus vaste. Mais, dans la soute à missiles de l’Anakin Solo, alors qu’elle se lançait dans les préparatifs d’une mission qui pourrait impliquer qu’elle se sacrifie pour tuer Luke Skywalker, Lumiya avait un jour mentionné qu’il y avait plus de deux Sith. Et que leur plan pour la galaxie n’impliquait pas nécessairement sa survie à elle. L’individu qui avait enregistré ce message semblait soutenir cette idée. Il donnait en tout cas l’impression de faire partie d’un groupement plus vaste.
Alema remit la datapuce dans son étui et se dirigea vers le hangar. Elle avait clairement visé trop bas. Elle n’aurait pas besoin de reliques Sith pour guider Jacen vers le succès.
Non, il lui fallait les Sith eux-mêmes.